Il règne depuis plusieurs mois un vent de fraîcheur sur la mixoscène française. N’en déplaise aux parigo-convaincus de la première heure, force est de constater que la province tire son épingle du jeu. Les concours des marques les plus visibles sont constellés de noms qui sentent bon le terroir. On en finirait par croire que le « péquenot » devient bankable, se murmure-t-on dans les hautes sphères. Il n’en est rien, la vérité est ailleurs. Aussi fou que cela puisse paraître, le talent est enfin valorisé hors de notre saint Périph’ et les marques ont troqué leurs œillères de pur-sang contre un peu de bon sens, bon sang de bonsoir !

Trêve de calembours douteux ; la curiosité m’a donc mené sur la route de Morlaix. En chemin, je décidais de troquer la Bretagne de mes escapades enfantines pour la Loire Atlantique de mon insouciance. Bien m’en a pris, car j’y ai trouvé une adresse dont vous me direz des nouvelles. Il faut dire qu’à Nantes, le Bootlegger et le Santeuil attendaient du renfort pour convaincre le badaud de s’adonner aux plaisirs du cocktail. C’est avec le 19:33, un allié de poids qu’ils viennent de trouver. Anne-Gaëlle et Martin sont deux passionnés. La première, ancienne concierge et véritable maitresse de maison, prend soin de vous accueillir aux petits oignons pendant que son bartender de compagnon vous concocte une recette dont ses expériences en Suisse et à Saint Barth s’inspire. Entre classicisme et jovialité, cette nouvelle adresse réussit une prouesse rare, faire d’un bar de quartier ouvert dans un ancien bar d’hôtesse, une vraie adresse conviviale où pourront se mêler novices et geeks du shaker. Le point de ralliement d’une scène en pleine éclosion, je ne demande rien de plus que ce genre de découverte.

Pour les boissons, c’est Martin qui s’y colle donc. Il privilégie un savant mélange de classiques, de twists et de destinations variées. J’aime l’idée du voyage, pour reprendre le fameux « nous vous souhaitons un bon voyage » que m’assénaient les serveurs d’un restaurant où j’avais mes habitudes à mes débuts, avant chaque plat. Tout est en place pour transporter votre palais. Entrée en matière réussie avec un Sayulita bien mexicain, tout en fraicheur et dont l’inspiration vient d’un voyage qu’ils ont fait au Mexique. Le mélange de gingembre et cacao fait des merveilles, le rim d’épices donnant un bon kick à ce cocktail, bienvenue à l’approche des beaux jours. Changement de décor et j’ai la sensation de me changer en castor, grâce au Tadoussac et son rye canadien et sirop d’érable. Si Céline Dion avait une madeleine de Proust, ça serait sûrement cette petite bombe de puissance, sans lourdeur et avec un brin de chaleur, tabarnak !

Pour la convivialité, c’est à la patronne que l’on peut faire entière confiance. Le service est un point fort au 19:33 et en plus de vos excellents drinks, vous aurez un bon choix de charcuteries, fromages, rillettes pour un moment détente entre deux arrêts en gare. En gare oui, vous avez bien lu, ce n’est pas le rye qui me fait délirer. En plus de sa dimension historique et sa référence claire aux années de la prohibition américaine ; la totalité du bar a été imaginée et retapée – à la mano s’il-vous-plait – pour reproduire l’ambiance d’un wagon de l’Orient Express. On m’a d’ailleurs soufflé que tous les détails de rigueur sont intégrés au fur et à mesure pour une expérience décontractée et immersive, toujours de bon aloi lorsque l’on cherche à se détendre après une sale journée de boulot, ou une bonne d’ailleurs.

Evidemment, tous les classiques sont également à l’honneur si vous souhaitez la jouer à la papa. La sélection de spiritueux est bonne et fait honneur à un engouement grandissant pour la qualité à Nantes et ça fait bien plaisir ! Je me laisse donc tenter pour la route, par un bon Negroni des familles, au Mezcal évidemment, bitter artisanal italien et vermouth sec français pour une touche d’originalité. Si délicieux que j’en oublie l’appel du last call, direction la gare et retour à Paris. Quel dommage, je commençais à me plaire vraiment dans le 44 ! La France, c’est comme une boîte de chocolat, tu ne sais jamais sur quoi tu vas tomber. Et c’est tant mieux, nous avons encore beaucoup à découvrir, à commencer par là. « Le génie est la faculté de faire sentir l’âme des choses et de la faire sentir à d’autres âmes. » Le frère Gilles a dû venir ici, dans une autre vie.

• 19:33 Cocktail Experience • 8 rue Voltaire 4400 Nantes