Début septembre 2020, je parcours l’étroite route qui serpente dans la brume entre les champs et les forêts jusqu’à Rozelieures. A l’entrée du village, la vue est assez dégagée pour admirer le fameux volcan, celui présent sur les étiquettes des whisky de la distillerie de la famille Grallet-Dupic. C’est là que je me rends. Nichée au cœur d’un petit village de moins de 200 habitants, la distillerie y a été fondée en 1860 par Michel Grallet et c’est aujourd’hui la 5ème génération qui l’opère, toujours dans la même famille.

L’histoire du whisky Rozelieures est un peu plus contemporaine, puisque le premier whisky lorrain qu’ils produisent sort en 2002. Rozelieures est tout d’abord une maison mirabellière, dont les eaux-de-vie sont toujours très réputées et dont la distillation d’orge maltée ne débute que sous la direction de Hubert Grallet et Christophe Dupic, les deux hommes partageant une passion commune pour le whisky. Il faut dire qu’ils avaient tout pour réussir. En plus des mirabelliers, la famille cultive ses propres céréales. Ils disposaient aussi déjà du matériel utilisé pour la distillation des eaux-de-vie de mirabelle et de tout le savoir-faire qui l’accompagne. Sur le papier, c’est un bon début !

Ici rien à voir avec les distilleries écossaises que j’ai déjà visitées. Pas de pagode fumante, pas de murs blancs typiques comme on en voit souvent sur les îles par exemple. Nous sommes bien en France, en terroir rural et tout ici me rappelle ma campagne limousine, ce qui renforce fortement l’authenticité du lieu.

Je suis chaleureusement accueilli par Sabine Grallet -la fille d’Hubert- qui nous fait visiter les lieux en nous racontant l’histoire de la maison et nous mène à la salle des alambics. Ici est projeté un super spectacle son et lumière retraçant l’histoire de la distillerie et expliquant le processus de fabrication de l’eau-de-vie de mirabelle et du whisky. Les éléments présents dans la pièce sont utilisés comme supports pour la projection, c’est malin et vraiment beau à regarder. Les circuits du distillat et de la vapeur sont projetés sur les tuyaux, on peut voir les alambics qui se remplissent puis se vident … on s’y croirait !

Les alambics de Rozelieures

J’apprends donc que Rozelieures maîtrise d’un bout à l’autre toute la chaîne de production de leur whisky. L’orge pousse sur leurs terres, puis est maltée par leurs soins dans leur malterie tout juste sortie de terre en 2018. Le brassage, la fermentation, la distillation, le vieillissement et l’embouteillage ont aussi lieu dans leurs locaux et sont réalisés par leurs soins. Rozelieures est donc l’une des premières distilleries de whisky françaises à réaliser toutes les étapes de production sans exception, ce qui les place de facto sur le devant de la scène du whisky français.

La visite continue avec Hubert (l’initiateur du whisky Rozelieures) qui m’emmène voir la fameuse malterie, à quelques dizaines de minutes de la distillerie. Discuter avec Hubert est un réel plaisir. Véritable livre d’histoire de la distillerie, chaque phrase qu’il prononce est marquée par la passion qui l’anime et le plaisir de la partager. Ici encore, rien à voir avec les « maltings floor » traditionnels que l’on peut voir en visitant des distilleries écossaises. La malterie Rozelieures est à la pointe de la technologie. Celle-ci se trouve dans une ancienne filature et n’occupe qu’une petite partie du bâtiment. Ce qui laisse entrevoir de belles perspectives d’évolution.

Soyons honnêtes, jamais en rentrant dans le bâtiment je ne me serais douté que cet enchevêtrement de machines était une malterie. Et pourtant, en y regardant de plus près et guidé par Hubert, on se rend compte que leur fonctionnement est d’une simplicité assez redoutable. L’orge est guidée au travers des différentes étapes via un système de vis sans fin. Trempage, germination, séchage, tout y est, mais en version moderne. Au moins la moitié de la machinerie est ici simplement pour assurer les différents contrôles qualité et le pilotage de chaque étape. Finalement tout est piloté sur un seul écran, nul besoin d’intervenir directement sur les machines sauf pour entretien. C’est un peu comme une console de jeu de pré-production de whisky.

Le grain en fin de germination

Un maltage hightech et respectueux de l’environnement ! La technologie employée permet de réduire la consommation en énergie et la chaleur émise par toutes les étapes est intelligemment redistribuée pour ne rien perdre. [A noter que sur ce plan, ils font leur possible pour réduire leur impact sur l’environnement. Par exemple, ils ont fait construire à Rozelieures une aire de méthanisation qui permet de produire du biogaz à partir des déchets des agriculteurs locaux et des résidus de leurs distillations. Ce biogaz peut ensuite être utilisé pour chauffer les logements environnants et la distillerie. ndlr] La malterie rend donc Rozelieures totalement indépendante puisqu’en fonctionnement automatisé 24H/24h elle permet de sortir 1000 tonnes de malt par an, soit un peu moins de 3 tonnes par jour. Autre avantage, cela devrait leur permettre de malter leur orge parcelle par parcelle, de manière à produire des single malts issus de grains ayant poussés sur des terroirs différents : argileux, calcaire, ou même volcanique. C’est un point non négligeable, à l’heure où plusieurs marques de whisky sortent des bouteilles produites avec l’orge d’une seule ferme ou même d’une seule récolte. Être en mesure de produire du whisky de manière parcellaire est un gros avantage pour innover. D’autant plus qu’en France c’est dans notre culture : c’est une pratique que l’on connait très bien dans le monde du vin depuis plusieurs centaines d’années. Le whisky français a donc clairement son épingle à tirer du jeu dans les années à venir en poussant ce concept en avant et Rozelieures sera clairement de la partie (rendez-vous en 2021).

Les chais à côté de la malterie et leurs « quelques » fûts.

Ma visite se termine dans les chais adjacents où nous prenons quelques minutes pour goûter plusieurs jus en sommeil qui n’attendent que d’être réveillés pour être mis en bouteilles et dégustés. Je me rappelle encore un fût de porto … merveilleux ! Malheureusement trop jeune pour être embouteillé tout de suite. C’est intéressant de constater la vitesse à laquelle les jus vieillissent ici. Avec une part des anges en moyenne deux fois plus importante qu’en Ecosse, on se retrouve avec des whisky matures bien plus tôt. Et c’est tant mieux pour le marché du whisky français ! Etant donné qu’il est encore assez jeune, difficile de trouver des bouteilles contenant des jus qui ont passé 10 voire 15 ans en fût comme on le voit outre-manche. Mais nul besoin d’atteindre un tel compte d’âge pour obtenir un produit de qualité chez nous. C’est ce que j’ai constaté lors de cette dégustation improvisée aux tonneaux. Malheureusement, ils sont un peu encombrants et je n’ai pas pu en subtiliser un pour le ramener à la maison ! Mais je me suis consolé en goûtant des nouveautés de leur gamme !

Rozelieures fût unique finition pineau des Charentes 43%

Voilà un finish que l’on n’a pas l’habitude de voir ! Au nez on est sur des fruits à gogo ! Pomme, poire, mirabelles. Y a aussi des notes lactiques, qui rappellent de la crème. Ça lui donne un côté bonbon Krema vraiment doux et charmeur. Une petite touche de bois en fond.

En bouche la tendance friandise se confirme. Les notes de bonbon aux fruits mais aussi des notes de guimauves grillées. C’est super onctueux en bouche. Quelques notes additionnelles de miel toutes fleurs. La finale est assez longue, toujours sur les fruits blancs et soutenue par des notes boisées. Le whisky plaisir par excellence, facile à boire mais qui pour autant ne manque pas de complexité. S’il fallait lui trouver un défaut, peut-être qu’on pourrait lui reprocher son degré d’alcool assez bas. Je serais curieux de goûter le même à 49%.

Rozelieures 40 ans Maison Dugas Triple cask tourbé 43%

Le dernier né de la distillerie, embouteillé pour célébrer les 40 ans de la société Dugas. Il s’agit d’un assemblage de trois types de fûts (secret bien gardé) avec un niveau de tourbe à 35ppm. Moyennement tourbé donc. Réglementation oblige, les bouteilles des distilleries françaises sont sans mention d’âge ni d’année. Mais l’on me souffle à l’oreillette que les fûts sélectionnés ont séjourné dans les chais de Rozelieures entre 6 et 8 ans, ce qui en fait un whisky assez âgé compte tenu de l’âge du marché français.

Au nez c’est la tourbe qui se présente en premier. Mais pas agressive ; plutôt délicate et suave. Des notes végétales, type sous-bois, bruyère, fougère. En fond, des grains de café torréfiés. Le tout baigné dans une aura de fraîcheur apportée par quelques notes d’agrumes. En bouche, la tourbe revient sur le devant de la scène, ici sur des arômes cendrés, mais comme enrobés dans une enveloppe de douceur, avec des notes de fruits à coque et une petite touche sucrée et épicée (y aurait-il un fût de sherry dans le lot ?). La finale est de longueur moyenne, sur la vanille, avec un rappel sur des notes fumées. Une belle réussite. Sans aucun doute l’un des whisky français les plus abouti que j’ai eu l’occasion de goûter !