Londres a t’elle besoin d’un bar de plus ? Pas vraiment. Mais nous sommes toujours curieux : particulièrement quand il s’agit d’une nouvelle adresse, et surtout lorsqu’il s’agit d’un des bartenders les plus respectés et influents du monde. Avancez-vous : Erick Lorincz, ancien chef barman au American Bar du Savoy et Alex Kratena, anciennement chef barman à l’Artesian, joignant leurs forces avec Monica Berg ; trois noms puissants dans le secteur du bartending mais aussi les noms derrière deux des ouvertures les plus attendues de ces dernières années.

Kwãnt et Tayer + Elementary, les deux bars en question, ont mis trois ans pour être fondés. L’un à l’est, l’autre à l’ouest. L’un ouvert toute la journée avec une ambiance décontractée, alors que l’autre est plus un bar de nuit – sombre, sexy et exotique. Les deux sont sans aucun doute les bars les plus visités de Londres actuellement… pour de bonnes raisons. Ils sont vraiment à la hauteur du battage médiatique dont ils bénéficient. Erik a été le premier dans les starting-blocks avec Kwãnt, ouvert depuis le 20 mai. Niché en dessous de l’iconique restaurant de Mayfair Momo, il s’est associé à Mourad Mazouz, propriétaire du Momo et du Sketch à Londres, pour sa première entreprise en solo. Nous y sommes allés avant l’ouverture officielle pour parler avec Erik de son nouveau bébé.

Commençons par le début, comment est venue l’idée de l’association avec Mourad Mazouz ?

J’ai appris que si tu demandes tu obtiens, si tu ne demandes pas tu n’obtiens rien, donc, tout en travaillant au Savoy, j’ai commencé à mettre dans la confidence quelques amis au sujet de ma volonté d’ouvrir mon propre bar. L’une de ces personnes était Douglas Ankrah (créateur du Porn Star Martini) et le matin suivant, il m’a appelé pour me dire qu’il avait quelqu’un à me présenter. C’était Mourad. Nous nous sommes rencontrés un vendredi après-midi, il a dit qu’il m’appréciait et qu’il aimerait vraiment que l’on fasse quelque chose ensemble mais que quelqu’un venait de signer le bail pour l’endroit que je voulais. Cependant, il a gardé contact avec moi tout au long de la période de location pour me faire savoir qu’il était toujours intéressé pour travailler ensemble. Finalement, la location a pris fin et nous y voilà.

Combien d’essais as-tu fait avant de décider du nom Kwãnt ?

En réalité, Kwãnt – l’orthographe phonétique de « quait » (pittoresque en français) – est le second nom qui m’est venu à l’esprit. Le premier était trop simple, sans aucune vraie signification. De plus, quand j’ai vu l’aménagement de la pièce, le nom m’est apparu comme une évidence – c’est old fashioned, mais différent.

Pour ceux qui ne sont pas encore venus, comment décrirais-tu le bar ?

Quand je l’ai vu pour la première fois, je l’ai imaginé comme un bar style ‘Casablanca’, il y avait une atmosphère similaire. Dès le moment où tu franchis les portes du restaurant à l’étage, tu n’as plus l’impression d’être à Londres, tu es transporté autre part, et seulement après tu descends dans ce lieu extraordinaire. Je ne voulais pas que ce soit le classique ‘gin joint’, je voulais apporter à ce bar un élément plus luxueux – la classe britannique – mais avec une touche exotique. Je pense que cela à bien fonctionné. Le bar a une atmosphère chaleureuse et malgré qu’il soit en sous-sol, on ne se sent pas oppressé. C’est un mélange entre mon style et celui de Mourad, en particulier avec les charmants panneaux en bois mélangés avec les murs d’inspirations nord-africaines peints par Alain, un vieil ami de Mourad. L’espace principal est comme votre salle à manger et, à l’arrière, nous avons le salon de jardin, avec des miroirs pour donner une impression de hauteur. Une à deux fois par mois, nous aurons un pianiste en live. Le style global : la classe britannique avec un twist nord-africain.

C’est une chose de concevoir un menu, qu’est-ce que ça fait d’appliquer cette créativité à un espace ? Ton propre espace ?

Cela fait du bien, mais quand j’étais confronté à l’énormité que cela représentait, je pensais à trop de choses, de tellement de manières différentes. Ce n’était pas juste des cocktails. Ou du moins, je pensais cocktails mais totalement différemment. Des choses comme : « Est-ce que c’est la bonne déco sur les murs, est-ce t la bonne couleur de bois et qu’en est-il des tables ? ». Je ne voulais pas avoir de petites tables. Je voulais m’assurer que les personnes soient confortables. Vous avez de l’espace pour vos cocktails, l’eau et la nourriture, pour pouvoir respirer, sans se sentir oppressé.

Tout ceci est esthétique, mais quand est-il des drinks ? Peut-être débuter par les vitrines très cools remplies de spiritueux anciens…

Ce sont des bouteilles que j’ai récoltées tout au long de ma carrière, elles étaient stockées chez moi depuis des années. Il y a un Caperitif – un vin d’apéritif original produit en Afrique du Sud – mis en avant dans The Savoy Cocktail Book, c’est l’une des 5 bouteilles existantes. Le plus vieux que je possède est un brandy espagnol des années 30 avec sur l’étiquette la mention Grande Fine Champagne. Il y a aussi une sélection de rhums Bacardi de différentes décennies et Havana Sivers dont la production a été arrêtée. Nos clients peuvent les déguster à travers 6 cocktails, proposés sur le menu, dont notamment un White Lady, un dry Martini (nous avons une bonne sélection de gins et vermouths anciens) et un Negroni. Nous avons aussi un Brooklyn, comme nous avons une sélection de bons ryes des années 60. Sinon, nos clients peuvent élaborer leurs boissons à partir de notre variété d’anciens spiritueux.

Passons au cocktail. Le menu a-t-il été dicté par le lieu ou les boissons ont-elles été envisagées précédemment ?

Le menu est très inspiré des choses que j’ai explorées, goutées et ramenées de mes voyages. Il y a 24 cocktails au total dont 80% d’entre eux que j’avais déjà sur papier avant d’emménager – quelques-uns devaient encore évoluer. Mais chacun des membres de l’équipe ont signé une boisson sur le menu, je voulais leur donner de l’espace pour qu’ils soient fiers quand ils servent un cocktail. Je ne voulais pas qu’ils pensent que c’est le bar d’Erik, avec les boissons d’Erik – tout est Erik.

Quel était le brief ?

Nous avons passé beaucoup de temps ensemble avant l’ouverture. Durant l’un de ces jours, j’ai préparé 6 plats de barbecue et nous avons discuté des boissons. Je leur ai énoncé les différents spiritueux avec lesquels je voulais travailler et le style de boisson dont j’étais à la recherche et ils ont travaillé avec ça. Ils avaient beaucoup de possibilités et ils ont tous fait un job fantastique.

Est-ce qu’il y a cocktail star sur le menu ?

Non, parce que ça voudrait dire que les autres ne sont pas aussi bons. Mais le Sunflower Martini est une bonne créa. (ndlr : nous sommes tous d’accord pour dire que c’est une bombe absolue et que nous le commanderons à chaque visite). C’est une base de gin Hendricks avec du dry vermouth, Cocchi Americano et du topinambour. Tous les ingrédients sont cuits ensemble sous-vide durant 4 heures ; comme toutes les autres drinks sur le menu, pour respecter les ingrédients et les produits qui les composent.

Parle nous de ton équipe.

J’ai trouvé l’équipe la plus brillante – ils sont tous tellement passionnés et je me sens privilégié de travailler avec eux. Il y a Stefano Agostino qui a travaillé avec moi au Savoy, Rastislav Kasar qui était aussi au Savoy, Giovanni Tavano qui était membre de l’équipe d’ouverture du Sexy Fish, Celia Bugallo Jurado, notre maman de la mise en place qui était au Mandrake avec Jumpei Yamamoto et il y a Gabor Bajusznacs, ancien chef bartender au Zetter Town House. Ils ont tous travaillé très dur ensemble. L’équipe est très soudée. L’un des points clés, c’est qu’ils savent tout faire, de la préparation au service, du taillage de la glace à la création d’excellentes boissons, ils peuvent tous s’investir et sont capables de tout faire. Et ils ont beaucoup de matériel pour s’amuser.

Peux-tu nous dire ce qui se cache derrière le bar ?

Il y a le laboratoire que Celia adore et dans lequel elle passe la plupart de son temps… et nous avons aussi beaucoup de gadgets en dehors de ça, incluant un système Evagro nous permettant de faire pousser les graines de 80% de nos garnishs. Actuellement, nous avons du basilic, du souci officinal, de la coriandre, du shiso, de la mélisse et de l’estragon en train de pousser, ils seront prêts dans deux ou trois jours. La verrerie est spéciale elle aussi, elle a été spécialement désignée pour nous par l’une des plus anciennes verreries de Slovaquie.

Quel a été ton brief pour eux ?

Faites de la verrerie pour des cocktails ! En fait, je leur ai donné des détails précis comme par exemple, la hauteur des verres, l’épaisseur de leur paroi, la profondeur… pour chacun des drinks. Nous avons donc des verres Sazerac, Vieux Carré, Garibaldi, Clover Club et Martinez. La gravure au pied des verres est le symbole d’une feuille d’agave, étant un grand fan de l’agave.

Comment s’est passé l’ouverture de ton propre bar ?

C’est le sixième bar auquel j’ai participé à l’ouverture, incluant The Connaught et The American Bar au The Savoy. Dans chacun d’entre eux, mon rôle était juste de faire les boissons. Ici, j’ai dû penser à tous, des uniformes (les vestes blanches classes) jusqu’au logo au passant par le design de la verrerie, ce qui peut être plus compliqué que l’on pourrait le penser, tout comme surveiller le design du lieu (par Bambi Sloan).

L’une des choses que je souhaitais réellement dans cet espace était l’espace pour 3 stations – une pour un bartender distribuant les drinks, une autre pour un bartender réalisant les cocktails pour le bar et la troisième pour les bartenders invités : mes amis du monde entier dans les bars dans lesquels j’ai été invités. Je n’étais pas capable de leur rendre la pareille quand j’étais au Savoy mais ici j’ai désormais un espace dédié où ils peuvent créer leur propre menu et discuter avec les clients. Le premier shift était le 21 juin quand Orlando Marzo, l’actuel champion de la compétition World Class, était derrière le bar.

Kwãnt, downstairs at Momo, 23-25 Heddon Street, W1B 4BH.