Christophe Valtaud est depuis quelques années Maître de chai de la Maison Martell. Enfant du pays, il s’inscrit dans la lignée de ses prédécesseurs, notamment Benoit Fil, avec comme mission de perpétuer le style des cognacs Martell. Arrivé chez Martell en 2011 en tant que Responsable de la viticulture durable puis Responsable des vignobles, ce Docteur en biochimie, biologie moléculaire et physiologie végétales a aussi à cœur de conduire la transition écologique et le développement durable de la Maison. Entretien.

Quand êtes-vous arrivé chez Martell ?

Je suis arrivé il y a trois ans et en trois ans, on a fait beaucoup de choses déjà. On a fait évoluer le VS qui était trop marqué par son époque. Il avait été créé dans les années 50 et il nécessitait d’être revu en termes de goût. Il ne correspondait plus tout à fait aux critères que nous avons maintenant. Même chose sur le VSOP, on a fait un VSOP actuel, contemporain, aged in red barrels. Le premier spiritueux élaboré à partir d’un cognac VSOP et fini en fût de bourbon du Kentucky. Il y a ensuite la collection Single Estate, j’ai recréé deux extras et créé le Chanteloup XXO. Mais tout en préservant le style Martell !

Justement, quel est le style Martell ?

C’est un cognac élégant et délicat. D’abord, cela passe par la distillation sans lie. Pourquoi ? On est les seuls à proposer un côté très fruité sans cet effet trop riche de la levure des lies, nous voulons rester sur le terroir. Je dirais que toutes les maisons le faisaient à l’origine et puis au fur et à mesure certaines les ont rajoutées. Le deuxième paramètre, c’est le vieillissement en grains fins parce que je n’aime pas l’amertume du bois. On choisit du chêne sessile de grains fins comme en Bourgogne par exemple. Ce sont des parti-pris historiques pour nous puisqu’ils remontent aux années 1800 à 1840. Le dernier point, c’est que l’on utilise l’ensemble des crus de Cognac et on va pouvoir jouer avec leurs différentes caractéristiques.

Le climat n’impacte t’il pas trop les crus ?

Il y a clairement des problématiques de développement durable aujourd’hui : nous sommes d’ailleurs en train de lancer des programmes de recherche pour l’économie d’énergie liée à la distillation, puisque la distillation se fait au gaz. On recherche quelle source d’énergie nous pouvons mettre sous l’alambic et nous avons également des programmes de recherche financés par Martell sur le réchauffement climatique et l’adaptation de cépages dans le futur.

Il y a notamment un programme en cours avec l’INRA et l’IFV dans lequel Martell participe à la création de cépages résistants en plus de ce qui est fait par les professionnels et notamment par le BNIC. Nous avons fait le choix de ne pas protéger les résultats et nous ne serons pas propriétaires de ces cépages ; tout le monde pourra les utiliser ! Nous avons deux enjeux derrière : d’abord l’adaptation du vignoble et ensuite la réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires.

Comment devient-on maître de chai chez Martell ? Des études particulières ?

Alors, on est choisi par ses paires. Mon prédécesseur m’a choisi pour entrer dans l’équipe et on fait son chemin. Lorsque le maître de chai s’en va, on appelle son bras droit, le Maître Assembleur Expert qui généralement a 40 ans de maison et qui va proposer un nom. Il n’y a pas de candidature, on ne candidate pas à notre poste, on est choisi et coopté.

Je n’ai pas fait d’étude d’œnologie contrairement à ce que l’on pourrait penser. J’ai fait des études de biochimie et biologie moléculaire, mais surtout j’étais de la région, comme je suis fils, petit-fils et arrière-petit-fils de viticulteurs. Je suis rentré en 2011 chez Martell et suis resté sept ans au Comité de Dégustation.

A quoi ressemble une journée type de Maître de Chais ?

On va dire qu’avant 8h30, on travaille sur les mails et on commence par déguster l’eau parce qu’on utilise de l’eau comme ingrédient dans nos cognacs.

La deuxième dégustation sera vers 9h, on appelle ça la dégustation de la montre qui est une reproduction avant de passer à l’échelle grand volume d’un assemblage de cognac. Je définis une recette et mes équipes sélectionnent des eaux-de-vie suivant ces proportions définies.

En général, deux fois par semaine, c’est-à-dire le mardi et le jeudi, la dégustation des eaux-de-vie du stock dans la matinée. Parfois on est obligé de rajouter des séances le mercredi et là, on va faire une trentaine d’eaux-de-vie vieillies qui reposent dans nos chais. On essaie juste de suivre le vieillissement, on appelle ça élever nos eaux-de-vie, on vérifie si tout se passe bien.

Enfin, la dernière dégustation que l’on fait de 11h à midi sont les achats. Quand on achète une eau-de-vie, soit elle est blanche, elle vient d’être distillée, soit elle est achetée vieillie auprès d’un partenaire. Il faut donc vérifier la qualité de chacune d’entre elles.

C’est lors de cette dégustation que vous notez les eaux-de-vie ?

Exactement. À ce moment-là, quand on déguste une eau-de-vie pour la première fois, on met une note A, belle qualité. AA, exceptionnelle, à isoler par exemple. On va alors déterminer le type de fût qui va être choisi et le type de produit dans lequel elle pourra éventuellement être utilisée ultérieurement. Ça, c’est un des premiers critères.

À ce critère-là, on va rajouter trois à quatre descripteurs organoleptiques qui sont purement la description de l’eau-de-vie : on fait sa carte d’identité mais de façon très succincte, on reste très générique. Après, avec le vieillissement, on va rajouter un autre critère qui sera l’intensité du bois et un dernier paramètre, l’origine de ce bois. Quand on déguste, on va pouvoir vous dire si c’est plutôt un bois qui vient réellement de Tronçais ou plutôt de la Nièvre ou encore des Vosges parce qu’on a du chêne sessile de différentes régions.

Ça c’est juste le matin…

Oui ! L’après-midi est plutôt dédié aux réunions sauf à 17h où là, en général, je suis en encore en dégustation. Finalement à l’année, on déguste environ 11 000 échantillons de cognac soit 70 échantillons par jour.

Quelles sont vos expérimentations ‘finish’ actuelles ?

Ça, je vous ne le dirai pas, mais c’est une bonne question. Je ne me m’interdis rien et j’essaie tout.

Comment se passe la relation avec l’équipe marketing ?

Cela dépend des projets mais généralement les interactions sont importantes. Nous travaillons le blend en parallèle de nos échanges, le process est long et résulte de longues recherches. XXO, j’ai eu carte blanche.

Pourriez-vous travailler pour une maison autre que Martell ?

Oh ! Honnêtement pas forcément, je ne me vois pas chez une grande maison autre que Martell puisque je suis très bien ici.

Article réalisé en collaboration avec Martell