La guerre de sécession mit fin à l’esclavage partout aux Etats-Unis. Comme tout événement de cette importance, elle eut également un impact considérable sur l’économie. Elle marqua le triomphe du nord industriel et libéral sur un sud agricole dont la prospérité reposait sur un système inhumain. Le sportsman n’était pas – nécessairement – un sudiste esclavagiste, mais l’Amérique nouvelle d’après la capitulation de Lee en 1865 n’était pas la leur. Certes, les Etats-Unis de la conquête de l’ouest comptaient leur nombre de pirates du poker, de journalistes soiffards et de canailles avides de Whiskey Sour. D’ailleurs, dans les saloons de la mythique ville de Tombstone, loin de se contenter de bière tiède et de bourbon bouilli au soleil du désert, les cocktails avaient la cote et les glaçons provenaient de la fabrique locale.

A l’est, par contre, où les usines poussaient à peine moins vite que les villes champignons d’or revêtues, l’histoire était toute autre : l’expansion capitaliste et ses bilans comptables à deux colonnes demandaient des têtes froides. Bien sûr, le sens exact de cette expression n’est pas celui qu’on lui accorderait aujourd’hui. Après tout, l’alcoolique de 2018 est le buveur responsable de 1898. Que se passe-t-il donc ? Le barman ‘sportsman’ à la Jerry Thomas laisse place à la rigueur toute germanique de Harry Johnson, qui se vantera d’avoir toujours tenu une maison bien ordonnée et ne doit aucune faillite à son mécénat des arts érotiques ou à une défaite de trop de son champion des rings.

Le Whiskey Cocktail ou le Gin Cocktail deviennent Manhattan et Martini, perdant, avec l’arrivée du vermouth, un nombre conséquent de degrés. Les bars, déjà luxueux, passent à un niveau encore supérieur – tandis que sous la double pression des autorités et des hygiénistes, les établissements plus modestes sont mis sous pression. Bref : le cocktail s’embourgeoise. Si le Collins servait de leitmotiv à une blague un peu rustre (c’est une longue histoire) et le Julep se dégustait sous le porche de la plantation, le Martini s’érige petit à petit en symbole d’élégance, en boisson que le vulgus pecum aspire à boire au moins une fois, lors de sa visite en ville ou d’un trop rare passage au bar d’un de ces hôtels de luxe, grande nouveauté d’un pays qui découvre le voyage moderne. Avant 1865, seule la canaille consommait des boissons mélangées.

Après, les filous restent aux commandes mais ils affichent le col blanc et la respectabilité de ceux qui brassent des fortunes : on les appelle les robber barons (les barons voleurs) et ce sont eux qui attireront l’attention d’une certaine classe d’européens sur les boissons américaines. C’est une histoire que, vous l’aurez compris, nous devons reporter à notre prochain rendez-vous.

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